Le lapin a appris à vivre dans des cages depuis des siècles. Son destin naturel, qui vient du rapport de soumission à l’homme qui en a fait un animal domestique, est de se retrouver bien cuisiné dans une casserole. Toutefois je trouve injuste le recours à son image pour parler d’un homme qui craint tout. Il est vrai qu’il s’agit d’une bête qui n’a pas beaucoup de courage, qui tremble pour un rien et qui se cache à peine elle trouve un endroit pour le faire, mais la phrase: «Tu es un lapin!» lancée à quelqu’un peut être mal interprétée. En effet le lapin - et cela est la preuve de sa polyvalence - est également le symbole de la fertilité, grâce à un appétit sexuel qui n’est pas commun et qui donne lieu à beaucoup de naissances, même si la rapidité de ses performances fait que la comparaison entre hommes et lapins en certaines circonstances n’est pas un compliment pour les premiers.
Mais ce n’est pas que cela et j’espère qu’on arrive à percevoir la veine humoristique qui m’a inspiré jusqu’ici. La vieille habitude de la métaphore du monde animal appliquée à l’homme, qu’on trouve dans toutes les langues depuis l’antiquité et qui est présente notamment dans les fables, n’est pas persuasive à mon avis, parce que les hommes restent les hommes. Je ne veux pas nier l’importance des fable, puisque même les experts l’affirment: la fable a été très longtemps confondue avec le mythe alors qu'elle est en fait un récit mettant la plupart du temps en scène des animaux. Dans Le dictionnaire des genres littéraires (Encyclopaedia Universalis), Marc Soriano écrit : «Sous cet éclairage [fonction, description, morphologie], les fables sont inséparables des contes. Il s'agit de formes d'art spécifiques qui viennent d'un lointain passé et qui ont un mode d'existence essentiellement oral, par l'intermédiaire de conteurs, spécialisés ou non, qui n'ont pas le statut de créateurs, mais qui créent malgré tout en élaborant sans cesse ces œuvres et en les adaptant à leur public qui intervient à sa manière et peut, de ce fait, être à son tour considéré comme créateur. Cependant la fable - outre le fait de faire intervenir le plus souvent des animaux ce qui se fait d'ailleurs également dans certains contes - possède une caractéristique essentielle qui la différencie du conte merveilleux. On met en scène des animaux dans un but bien précis qui n'est pas innocent : c'est un moyen de contourner la censure des puissants ("Le Roman de Renart" est une violente satire des injustices de la société féodale) et les allusions politiques sont nombreuses: Les Fables de La Fontaine en sont l'exemple le plus connu». Essayons alors de changer de perspective: en 1968, Desmond Morris, zoologue, peintre et homme de télévision décide d’étudier une espèce de primate particulière: l’homme. Celui ci a le plus grand cerveau parmi les singes et le plus grand pénis. De plus il a comme signe distinctif d’avoir très peu de poils (le singe nu!) contrairement aux autres primates. C’est un portrait amusant et amusé de notre espèce. Tout commence selon Desmond Morris par le fait que nous sommes devenus des chasseurs-primates, ce qui fait de notre espèce un heureux mélange entre les fauves et les singes. Cela pour dire qu’il vaut mieux faire référence à l’homme et à ses "semblables", en cherchant par exemple dans la littérature des exemples meilleurs et plus articulés, en laissant tranquille le pauvre lapin et en trouvant une classification qui affirme la spécificité de ces animaux particuliers que nous sommes et arrive à définir un taux de courage dans la vie. Dans ce cens je trouve merveilleux "Il giorno della civetta" de Leonardo Sciascia, où Don Mariano, il "Padrino", fournit une curieuse hiérarchie de l’humanité: «... l’umanità, e ci riempiamo la bocca a dire umanità, bella parola piena di vento, la divido in cinque categorie: gli uomini, i mezz’uomini, gli ominicchi, i (con rispetto parlando) pigliainculo e i quaquaraquà… Pochissimi gli uomini; i mezz’uomini pochi, ché mi contenterei l’umanità si fermasse ai mezz’uomini… E invece no, scende ancora più giù, agli ominicchi: che sono come i bambini che si credono grandi, scimmie che fanno le stesse mosse dei grandi… E ancora più in giù: i piglianculo, che vanno diventando un esercito… E infine i quaquaraquà: che dovrebbero vivere come le anatre nelle pozzanghere, ché la loro vita non ha più senso e più espressione di quella delle anatre… » Vous voyez que finalement, en utilisant les mots d’une langue qui est un mélange entre l’italien et le dialecte sicilien, Sciascia recourt encore à une métaphore avec les animaux: le canard cette fois ! Mais les différentes catégories qu’il propose restent exemplaires et elles peuvent sans aucun doute être appliquées. En une sorte de jeu de table chacun de nous peut regarder autour de lui et s’amuser en classant: du minimum au maximum, en passant par les positions intermédiaires.