Quand nous mangeons du chocolat, notre mémoire retrouve immédiatement une saveur qui vient du passé. Il y a quelque chose d’ancien dans le plaisir d'ôter le papier qui recouvre un morceau de chocolat. Lorsque j’étais petit, pas d’histoires: le chocolat signifiait traverser les tunnels - ouverts depuis peu de temps quand je fréquentais les écoles élémentaires - ce qu’on faisait pour des voyages de plaisir. Le Mont Blanc était Genève, le Grand-Saint-Bernard, Martigny. On achetait des cigarettes et du chocolat, deux produits qu’on associait mentalement à la Suisse. Une union intéressante entre deux vices. La saveur du pain avec le chocolat, avant la découverte de la "Nutella" (ce label naît en 1964), était bien précise, mais le chocolat vraiment sublime était suisse. Même si à Arnad on avait la "Sirca David" (fermée depuis des décennies) et à Pont-Saint-Martin la "Feletti" (qui va très bien aujourd’hui). Par la suite la globalisation a fait son apparition et la logique de contrebandiers qu’on liait aux déplacements en Suisse a disparu devant les rayons des supermarchés qui se sont remplis de chocolats venant du monde entier: les expériences se sont diversifiées.
L’université à Turin a représenté pour moi le paradis du chocolat artisanal, "Pejrano" à l’époque, qui a ouvert des horizons que les Morandin à Saint-Vincent (père et fils) ont rendu plus vastes ensuite. De vraies merveilles: je pense par exemple aux images du "Kamasutra", difficiles à reproduire, ou aux mystérieux procédés que Mauro a inventé - on aurait du lui décerner immédiatement un Nobel - pour réaliser du chocolat avec le lait frais. Bruxelles est une autre planète, même à travers l’histoire de la colonisation : quand j’y habitais, place du Sablon, j’étais au dessus de la chocolaterie "Marcolini". On a découvert que le chocolat contient une substance qui donne plaisir et dépendance. Pour une fois on peut dire que Christophe Colomb n’avait rien compris. En effet à son arrivée sur l'île de Guanaja, en 1502, les indigènes lui auraient fait boire leur boisson sacrée en signe de bienvenue: écœuré par sa saveur amère et piquante, il aurait renoncé à ramener le cacao en Espagne. Ce fut heureusement Hernán Cortés qui eut le privilège d'être le premier, en 1528, à en rapporter à la cour d'Espagne, après l’avoir découvert lors de la conquête du Mexique en 1519. Dès le XVIIème siècle, le chocolat devient très prisé de l'aristocratie et du clergé espagnol, avant de s'étendre dans les autres colonies espagnoles comme les Flandres et les Pays-Bas. On peut trouver en commerce différentes histoires du chocolat qui prouvent que dans le temps chacun a ajouté quelque chose, notamment au moment de la révolution industrielle, lorsque l’utilisation des machines a perfectionné le produit. Cela est vrai pour notre aire géographique: à la fin du XVIIIème siècle Doret à Turin invente le premier chocolat en forme solide, comme nous avons l’habitude d’en manger aujourd’hui. En 1852 à Turin, Michele Prochet commence à mélanger du cacao avec des noisettes hachées et grillées en créant la "pasta gianduia" qui sera produite ensuite sous la forme des "Gianduiotti" que tout le monde connaît. Peu de temps après les suisses font leur apparition: Daniel Peter, un fabriquant suisse de bougies s’unit au beau père pour produire du chocolat. En 1867 ils commencent à ajouter le lait aux ingrédients et en 1875 ils présentent sur le marché le chocolat au lait. Pour éliminer l’eau contenue dans lait, et en permettre ainsi une conservation plus longue, ils furent aidés par Henri Nestlé, aujourd’hui il existe une multinationale qui porte son nom. Rudolph Lindt, enfin, inventa le processus qui prévoit de mélanger pour longtemps le chocolat fondu, pour obtenir une pâte homogène. Cela donne envie ! Pour tout dire, les différentes étapes de l’évolution dans ce domaine montrent toutes les possibilités de la pensée humaine, même quand elle s’applique à un plaisir tel que le chocolat !